https://www.village-justice.com/articles/mediation-consommation-suspend-les-delais-forclusion,50454.html
Le droit européen, en particulier en matière de consommation, est une source très importante et très intéressante, qu’il ne faut jamais hésiter à exploiter.
C’est ainsi que, même sur des évidences ancrées chez le juriste français, comme la spécificité de la forclusion par rapport à la prescription, c’est-à-dire l’impossibilité de modifier son cours, le droit communautaire va primer et être susceptible de changer l’issue d’un procès qui n’aurait fait aucun doute au regard de la loi nationale.
I. Les effets normaux de la médiation sur la prescription en droit français.
En vertu de l’article 2238 du Code civil :
« La prescription est suspendue à compter du jour où, après la survenance d’un litige, les parties conviennent de recourir à la médiation... »
Il est précisé que la suspension du délai de prescription conduit à reprendre le délai écoulé là où il s’était arrêté, contrairement à l’interruption qui le fait reprendre à zéro.
Quoi qu’il en soit, ce texte s’applique évidemment à la médiation des litiges de la consommation, qui n’est qu’une médiation mise obligatoirement à la disposition du consommateur.
En effet, selon l’article L. 612-1 du Code de la consommation :
« Tout consommateur a le droit de recourir gratuitement à un médiateur de la consommation en vue de la résolution amiable du litige qui l’oppose à un professionnel. À cet effet, le professionnel garantit au consommateur le recours effectif à un dispositif de médiation de la consommation ».
En revanche, les effets de la médiation ne s’étendent pas à la forclusion, qui est, pour faire simple, une prescription dont le cours ne peut être ni interrompu ni suspendu, puisque l’article 2220 du Code civil prévoit précisément que :
« Les délais de forclusion ne sont pas, sauf dispositions contraires prévues par la loi, régis par le présent titre. »
C’était sans compter sur le droit européen.
II. Les effets anormaux de la médiation de la consommation en droit français.
Avant d’évoquer les effets de la médiation de la consommation sur le cours de la forclusion, par exception au Code civil, il faut rappeler que le droit de l’Union prime sur le droit national.
A. La primauté du droit de l’Union européenne.
Dans la hiérarchie française et européenne des normes juridiques, le droit de l’Union est supérieur aux droits nationaux des États membres.
Ces derniers ont ainsi l’obligation, selon la Cour de justice de l’UE, d’atteindre le résultat prévu par les directives et, dans ce cadre, « le devoir de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution de cette obligation », ce qui s’impose à toutes leurs autorités « y compris, dans le cadre de leurs compétences, aux autorités juridictionnelles » [1].
Dès lors, il incombe aux juridictions françaises « d’assurer la protection juridique découlant pour les justiciables des dispositions du droit de l’Union et de garantir le plein effet de celles-ci » et, ce faisant, d’interpréter le droit national « dans toute la mesure possible, à la lumière du texte ainsi que de la finalité de la directive en cause pour atteindre le résultat fixé par celle-ci » [2].
La Cour de justice va même plus en loin en posant le principe selon lequel, si la juridiction nationale se trouve « effectivement dans l’impossibilité de procéder à une interprétation du droit national qui serait conforme à cette directive, elle [peut laisser] au besoin inappliquée toute disposition de la réglementation nationale contraire » [3].
En toute logique, la primauté du droit communautaire va donc, dans certaines hypothèses, jusqu’à interdire au juge français d’appliquer sa propre réglementation.
B. La suspension du cours de la forclusion par la médiation de la consommation.
1. Le droit européen de la médiation des litiges de consommation.
L’obligation pour les professionnels de mettre à disposition des consommateurs un dispositif de médiation est issue de la directive 2013/11/UE du 21 mai 2013, dont l’objectif est, selon ses termes mêmes, d’« assurer un niveau élevé de protection des consommateurs ».
Néanmoins, sur le fondement du droit à un recours effectif et à un procès équitable définis par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la directive prévoit que dans les cas où un litige n’a pas pu être résolu par une procédure de médiation donnée, les parties ne doivent pas être « empêchées par la suite d’engager une action en justice en rapport avec ce litige en raison de l’expiration du délai de prescription au cours de [celle-ci] » [4].
Il est précisé que le droit européen ne connaît pas la notion de délai de forclusion, faisant qu’il apparaissait parfaitement logique et cohérent avec les objectifs de la directive et les droits fondamentaux susmentionnés que l’expiration d’un tel délai au cours de la procédure de médiation n’empêche pas davantage les parties à celle-ci d’engager ensuite une action en justice.
2. L’obligation pour le juge français d’écarter l’impossibilité de modifier le cours de la forclusion au regard du droit européen de la médiation de la consommation.
C’est dans ce contexte juridique que, après une vaine procédure devant le médiateur compétent, la cliente d’une banque a saisi le tribunal judiciaire de Niort en remboursement d’une opération, réalisée 18 mois plus tôt, qu’elle estimait non autorisée par ses soins.
La banque s’est opposée à cette demande en soutenant, notamment, que sa cliente ne lui avait pas notifié ce problème dans le délai de forclusion de treize mois, condition indispensable posée par le Code monétaire et financier pour permettre le remboursement d’une opération non autorisée.
Or, ce délai de treize mois avait précisément expiré durant le processus de médiation.
Au regard du droit français, la médiation n’aurait pas dû avoir le moindre effet sur ce délai de forclusion, rendant ainsi irrecevable la cliente en sa demande de remboursement.
C’était bien évidemment la position de la banque.
La cliente, elle, s’est défendue contre la forclusion sur le fondement du droit européen ci-dessus exposé.
Le juge compétent a décidé que :
« Si le droit français distingue le délai de forclusion du délai de prescription, délai de forclusion qui ne peut être suspendu en raison de son caractère préfix, force est de constater que cette règle constitue une restriction disproportionnée à l’exigence du niveau de protection élevé du consommateur et au droit au recours effectif et au droit à un procès équitable garantis par les articles 47 de la charte des droits fondamentaux et l’article 6 de la convention européenne des droits de l’Homme.
[…]
En conséquence il existe un droit effectif de la suspension de la forclusion pendant les opérations de médiation instaurées par l’article L 612-1 du Code de la consommation.
[…]
Il convient donc de ne pas appliquer les dispositions restrictives du droit français opérant une distinction entre le régime de la suspension de la prescription et le régime de la suspension de la forclusion dans les relations consuméristes à l’effet de constater la suspension du délai de forclusion durant les opérations de médiation conventionnelle et qu’ainsi le terme de l’échéance du délai de treize mois a été reporté.
[La cliente] n’était pas forclose… »
Cette décision est devenue définitive.
Ainsi, particulièrement en droit de la consommation, même lorsque la solution juridique à un litige semble entendue au regard du droit français, le droit européen peut être d’un immense secours.
Il ne faut donc jamais hésiter à analyser les directives et leurs objectifs pour en faire surgir d’éventuelles contradictions illégales avec les dispositions françaises défavorables et forcer ainsi le juge à les écarter ou les interpréter en faveur du consommateur.
Pendant ces derniers mois, le droit des passagers aériens européen a connu des précisions intéressantes fournies par la Cour de Justice de l’UE. A travers quelques décisions, elle a pu définir les limites de l’obligation pour les compagnies aériennes d’indemniser les passagers en cas de retard significatif ou annulation de leur vol.
Retour sur le Règlement UE No 261/2004.
I) En principe, selon l’article 5 du Règlement UE No 261/2004, les passagers aériens ont droit à une indemnisation pour des retards supérieurs à trois heures ou des annulations de vols sauf si les raisons de cette annulation ou de ce délai peuvent être qualifiées de « circonstances extraordinaires ».
Dans un dernier arrêt de la CJUE rendu le 16 mai 2024, la cour considère qu’un manque de personnel de chargement des bagages de l’aéroport peut être qualifié comme une circonstance extraordinaire qui peut permettre à la compagnie aérienne d’échapper à son obligation de payer une indemnisation aux passagers ayant subi le retard ou l’annulation de leur vol.
Toutefois, pour que le manque de personnel soit vu comme une circonstance extraordinaire, il faut que :
- Le délai ou l’annulation n’a pas pu être évité même si toutes les mesures raisonnables ont été prises ;
- La compagnie a essayé d’éviter les conséquences de cet évènement en prenant des mesures appropriées.
Ce critère devra s’appliquer in concreto au cas par cas. Par exemple, si les manques de personnel arrivent trop souvent, ils pourront plus difficilement être qualifiés de circonstance exceptionnelle. Egalement au cas où la compagnie aérienne aurait un pouvoir de contrôle sur l’opérateur de l’aéroport.
II) En janvier de cette année, la CJUE a également jugé que :
1. Pour bénéficier de l’indemnisation d’un montant de 250 euros en cas de délai supérieur à 3 heures, les passagers doivent se rendre à l’aéroport et avoir embarqué à l’aéroport. La cour considère qu’ils doivent avoir subi le retard. Ceci ne s’applique pas en cas de :
- Passagers qui décident de ne pas se rendre à l’aéroport [1].
- Passagers qui décident de prendre un vol alternatif pour éviter de subir le retard de leur vol initial [2].
2. Si un passager choisi un remboursement de son billet sous forme d’un bon d’achat en remplissant un formulaire en ligne, il perd son droit à obtenir un remboursement sous forme de paiement [3].
III) Et pour conclure, il convient de rappeler que le Ministère des Droits des consommateurs espagnol a infligé une amende de 150 millions d’euros à quatre compagnies aériennes de bas coût (Ryanair, Easyjet, Vueling and Volotea) pour sanctionner des pratiques commerciales abusives telles que :
- facturer un supplément pour les bagages à main en cabine,
- facturer un supplément pour la sélection d’un siège à côté d’un enfant ou d’une personne dépendante,
- facturer 20 euros pour imprimer le billet à l’aéroport (uniquement applicable à Ryanair),
- l’impossibilité de payer en espèces un billet au comptoir,
- le manque de transparence au moment de l’achat d’un billet en ligne, augmentation du prix d’achat au moment du paiement.
Malheureusement, ces compagnies ont confirmé qu’elles ne changeront pas leurs pratiques commerciales et feront appel de cette décision. Elles considèrent l’amende disproportionnée, même si une décision de 2014 de la CJUE avait déjà condamné la société Vueling pour facturer les bagages à main de cabine, la cour avait considéré que le bagage à main est indispensable pour le passager et ne devrait pas être facturé.
Il est fort probable que le tribunal saisi de ce recours fasse une question préjudicielle pour la CJUE, qui aura l’occasion de préciser à nouveau la limite de ces pratiques commerciales déclarées abusives.